Alice Desbiolles et Myrtille Prouté, médecins de santé publique et épidémiologistes, font le tour d’un certain nombre de contrevérités entretenues par cette épidémie d’informations.
Dans son allocution du lundi 13 avril, Emmanuel Macron rappelle que “l’objectif premier demeure la santé de tous les Français”. Cette précision est nécessaire, tant la santé publique a été mise à mal depuis le début du confinement. Si la lutte contre le coronavirus doit être une priorité, elle ne saurait pour autant constituer une priorité exclusive. Or, en cherchant à tout prix à supprimer la souffrance induite par le Covid-19, nous avons créé de la détresse et du désespoir ailleurs. En occupant la quasi-totalité de l’espace médiatique, l’épidémie de coronavirus s’est accompagnée d’une infodémie – pour reprendre l’expression de l’Organisation Mondiale de la Santé. Cette épidémie d’informations entretenant un certain nombre de contrevérités, il convient de replacer plusieurs enjeux dans leur contexte.
Covid-19: que savons-nous ?
Il est bien sûr fondamental de prendre la mesure de cette pandémie qui tue essentiellement des individus âgés ou présentant une ou plusieurs comorbidités telles que l’obésité, le diabète, l’hypertension artérielle ou une pathologie pulmonaire. En l’absence d’un vaccin efficace à l’innocuité avérée, prévenir la contamination de ces populations vulnérables s’avère essentiel. Cette prévention passe par des mesures d’hygiène (lavage régulier des mains) et de distanciation physique, le port de masques, l’isolement des personnes symptomatiques ou dépistées positives – notamment au sein des EHPAD et des services hospitaliers – et l’acquisition progressive d’une immunité collective. En effet, la progression d’un virus ralentit lorsque le nombre de personnes infectées, guéries ou vaccinées augmente. L’acquisition progressive de cette immunité de groupe sera favorisée par la fin du confinement et par la réouverture des crèches et des écoles. Si le rôle joué par les enfants dans la transmission du virus est encore mal compris, nous savons déjà qu’ils sont moins souvent et moins sévèrement affectés que les adultes. Dans l’ensemble de la population, la maladie serait par ailleurs létale pour 0,1 % à 0,36 % des personnes infectées.
Les victimes collatérales du Covid-19
A ce titre, déstabiliser l’ensemble de l’édifice médico-social – déjà à flux tendu – et mobiliser la majorité des ressources hospitalières vers la lutte contre le Covid-19 pose question, tant au plan sanitaire et social, qu’éthique et déontologique. Axer l’effort national sur la seule lutte contre l’épidémie conduit à déprioriser les patients présentant d’autres pathologies – chroniques notamment –, les personnes en situation de handicap et les individus traversant des situations sociales difficiles, comme les enfants et les femmes confinés avec des parents ou des conjoints violents ou défaillants. La continuité des soins est affectée, au même titre que la prévention et la santé maternelle et infantile. Parmi les laissés pour compte de la priorisation du Covid-19 se trouvent également les patients qui tardent à consulter pour d’autres pathologies – certaines engageant parfois le pronostic vital – afin de ne pas déranger leur médecin ou par crainte de contracter le virus, pourtant bénin dans la majorité des cas. A ces victimes collatérales qui viendront alourdir le bilan sanitaire de l’épidémie, il conviendra d’ajouter celles du “Grand Confinement”, lequel dégrade la santé mentale et économique des Français. Cette dégradation se produit par ailleurs selon un gradient social où les plus précaires et les plus vulnérables sont majoritairement affectés.
De la nécessité de prévenir plutôt que de guérir
La survenue du Covid-19 dans notre quotidien bien réglé a mis en lumière le sous-dimensionnement de notre système médical et hospitalier ainsi que l’importance de véritables politiques de prévention efficaces, notamment tournées vers les maladies du mode de vie comme l’obésité et le diabète. A très court terme, il conviendra de cesser de nous comporter comme des pompiers pyromanes qui tentent d’éteindre un incendie infectieux en créant d’autres départs de feu, sanitaires et économiques notamment. Le confinement doit rapidement laisser place à des mesures de prévention ciblées, permises par la montée en puissance des capacités diagnostiques et de protection individuelle, et à la reprise de façon prioritaire de toutes les activités du secteur médico-social et éducatif. Cette sortie de confinement devra également s’accompagner d’une communication du risque claire et transparente à l’attention de la population, du maintien des mesures d’hygiène et de distanciation physique dans les espaces collectifs – que les Français respectent déjà respectivement à 99,2% et 97,3% selon Santé publique France – et de mesures économiques pour soutenir les plus vulnérables. A moyen terme, il importera de repenser notre manière de faire de la prévention et de nous préparer, tant individuellement que collectivement, aux crises futures, sanitaires et climatiques.