Le long rapport parlementaire faisant un bilan de la gestion de la crise COVID par notre gouvernement est récemment sorti. Nombreuses furent les critiques, notamment des partis politiques, sur la mauvaise gestion des masques, sur les restrictions de nos libertés ou sur les incidences graves sur l’économie ou la gestion de l’Éducation Nationale.
En tant que parti écologiste, dont la réflexion forte est née d’abord sur la finitude des ressources, nous nous devons d’interroger en quoi notre société a aussi dysfonctionné pendant cette crise inédite, notamment sur notre relation à la mort, c’est-à-dire sur notre vécu face à notre finitude d’êtres humains.
Du lien entre la COVID-19 et nos analyses écologiques
Ce regard introspectif est essentiel pour identifier les pistes d’actions pour l’avenir, pour que nous puissions améliorer notre résilience face à de futurs chocs sanitaires. Même si certains aspirent à oublier cette « maudite année 2020 », en pensant que 2021 pourra nous permettre de recommencer comme avant, il est essentiel de sortir de cette situation de déni : Non, ce ne sera pas comme avant ! D’autres chocs sanitaires à venir nous attendent, ainsi que d’autres chocs climatiques. Ces chocs interpellent notre capacité à y faire face, de façon digne et humaine.
Déjà, il serait sain de nous rappeler nos grandes interrogations qui émergeaient au tout début de la pandémie, en février-mars 2020 :
- Repensons aux liens entre l’émergence de ce virus et la diminution de la biodiversité qui menace les habitats de nombreux animaux et les oblige à se rapprocher de nos centres urbains.
- Repensons aux corrélations entre propagation de la pandémie et les forts taux de particules fines dans nos airs pollués.
- Repensons à la dangerosité de la maladie, liée aux comorbidités comme l’obésité, le diabète, les maladies cardiovasculaires et pulmonaires.
Pourtant, en répondant à toutes ces questions, nous contribuerions à réduire les facteurs de risque majeurs du développement de nouvelles épidémies sanitaires ! Nous devrions mettre en place des actions réellement efficaces pour réduire la consommation de tous ces aliments transformés, riches en sucre et en sel inutiles. Nous devrions réduire de façon draconienne, l’influence des publicités, qui encouragent la malbouffe. Prenons au sérieux la question de la pollution de l’air !
Nous, écologistes, nous inquiétons des conséquences de cette crise sanitaire sur les survivants. Nos gouvernants ont piétiné certaines questions éthiques, essentielles dans nos sociétés et lourdes de sens. La question de la gestion de la mort durant cette crise est révélatrice de cette méprise de l’éthique morale.
Une peur panique nous a mis en sidération
La pénurie de masques, tant décriée à juste titre par beaucoup de critiques, a généré des conséquences très graves : D’abord une angoisse lourde ( et des risques forts) pour tous ces « invisibles » (éboueurs, caissières, chauffeurs, livreurs, …) qui ont travaillé pendant le confinement, malgré leur « peur au ventre ». Et puis pour tous ces soignants, ceux qui sont morts du COVID faute de protections adéquates et aussi ces soignants qui ont contracté des formes lourdes de COVID, parfois avec des symptômes tardifs, et dont les longs arrêts maladie ne sont pas reconnus en maladies professionnelles (au prétexte que le tableau des maladies professionnelles n’admet que les patients soignés sous oxygénothérapie)
Cette pénurie de masques a généré une peur panique, irrationnelle face à ce virus. La peur de se sentir sans protection a beaucoup inquiété. Cette peur extrême a abouti même à des réactions de sidération, qui nous ont tétanisés et laissés bien dociles face à des choix pourtant inacceptables.
Les associations professionnelles de Pompes Funèbres étaient tellement inquiètes, face aux risques de contaminations de leurs personnels funéraires, qu’elles ont fait pression sur le gouvernement pour des actes dont les conséquences à long terme sont graves : interdictions des toilettes mortuaires, mise précipitée des défunts dans des housses plastiques blanches, mise en bière immédiate des corps des défunts, interdiction voire restrictions très fortes pour les rituels funéraires et les enterrements.
Pourquoi avoir été dociles devant ces actes, lourds de sens ?
Pourtant, avec du recul, quelle justification « hygiéniste » d’une interdiction d’une toilette mortuaire ? Les risques de contamination provenant essentiellement des projections de postillons, comment comprendre qu’un corps mort puisse encore être une menace ?
Pourtant, l’interdiction de ces toilettes mortuaires a plongé tous les soignants dans un vécu cauchemardesque : difficile de faire ses adieux à un patient, un résident, sans ces gestes essentiels de soins du corps pour son ultime repos ! Les soignants sont nombreux à avoir souffert profondément de cette absence d’humanité dans ce dernier soin.
Quant à cette idée de « jeter » le corps du défunt dans une housse plastique, elle a également nourri de nombreux cauchemars chez les soignants qui ne supportent pas l’idée d’avoir traité ainsi des humains décédés. Cauchemars de toutes ces fins de vie bâclées, suite à des protocoles inappropriés et disproportionnés face aux risques.
Il en est de même pour ces mises en bière immédiates, qui elles, ont aussi traumatisé les familles qui n’ont parfois appris qu’après coup, que le corps de leur défunt avait été « expédié » ainsi. Ces mises en bière expéditives n’ont parfois, même pas permis cet « adieu au visage » (avec possibilité d’ouvrir la housse plastique blanche sur 10 cm) pour permettre aux familles, de garder une image du défunt avant sa disparition. Processus pourtant essentiel pour un bon travail de deuil.
Enfin, quelles conséquences graves, non encore mesurées, auront ces interdictions de funérailles ou leur limitation en nombre de personnes associées ? Les familles restent ici, prostrées, dans un deuil impossible, avec une culpabilité incommensurable de n’avoir pas inhumé leur défunt, ni pu partager leur chagrin et avec des risques forts de réactions ultérieures d’autopunitions inconscientes.1
Et il y a aussi, tous ces patients, ces résidents âgés, qui sont partis tout seuls, sans une présence chaleureuse d’un proche, voire parfois qui sont partis dans des souffrances épouvantables d’étouffement. Comment les vivants vont-ils survivre à la mémoire de ce départ dans la solitude, à ce sentiment coupable, d’avoir « abandonné leur proche » ?
Le travail du deuil essentiel … et pourtant rendu impossible
« Le mourant peut faire preuve d’une appétence relationnelle tout à fait surprenante, alors qu’il est aux portes de la mort. Il s’agit d’aller au bout de sa relation à autrui. De déposer quelque chose de soi chez l’autre, l’autre aimé, l’autre qui accompagne l’autre qui va nous survivre. Par un geste, une parole, un regard – tous ces bruissements de la vie affective – l’essentiel est dit. Gratitude, bénédiction, pardon. Les derniers échanges deviennent irremplaçables… C’est alors que mourir devient un acte de dignité, dont on est le sujet. »
Michel de M’Uzan, Le travail du trépas
Michel de M’Uzan qualifie cette dernière tache de « tentative de se mettre complétement au monde avant de disparaître… » Les soignants appellent ce besoin intense de relation à cet ultime moment, le « mieux de la fin ». Mourir est un acte, le dernier de notre vie, comme un accomplissement et une transmission.
Pendant le premier confinement, ce « travail du trépas » n’a pas été rendu possible : “En refusant de reconnaître au temps qui reste à vivre, une valeur, une dignité”, de nombreuses familles et soignants n’ont pas pu vivre cette expérience humaine des plus fortes : “la rencontre intime, profonde, avec la vérité d’autrui.” On a volé leur mort aux mourants, on a surtout volé aux vivants, “un moment essentiel de leur vie, une expérience, qui de l’avis de tous ceux qui l’ont vécue, rend plus généreux, plus humain.”
Boris Cyrulnik l’a déclaré publiquement : Jamais, dans l’histoire de l’humanité (sauf Créon avec Antigone), une décision politique n’a empêché un être humain d’honorer un mort, en accomplissant ce rite immémorial, qu’est l’enterrement ou la crémation. Il nous a alertés sur les dégâts psychologiques profonds, dont nos politiques prennent la responsabilité. “Toucher à ces rites immémoriaux que sont l’accompagnement et les funérailles, aura de graves conséquences. On peut craindre des dépressions post confinement, des deuils impossibles à faire, une culpabilité rampante qui se paiera de conduites d’échec et de dépressions au long cours.”.
Le rite est comme l’élégance, une façon de charmer l’angoisse . Rien n’est plus dangereux qu’un mort « mal passé », privé d’une partie de la vie à laquelle il avait droit et reviendra hanter les vivants, en proie à une errance hostile et malheureuse,
Christian de Cacqueray, Directeur du Service catholique des Funérailles a déclaré également combien le “parcours rituel” de la mise en bière aux funérailles est un parcours obscur. « Tout le monde est dans la peine autour du corps de quelqu’un qu’on ne reverra jamais plus. Ce “jamais plus” est terrible. C’est une écharde au cœur de notre humanité. Mais le rite est là pour apaiser. C’est sa fonction. Mettre un peu de lumière dans l’obscurité. »
Ainsi, de nombreux intervenants, dont Marie de Hennezel, très impliquée dans les démarches du « bien mourir », ont insisté sur l’importance des rituels, notamment dans son dernier ouvrage, L’adieu interdit. Le rite ouvre le chemin vers le deuil.2
Nos gouvernants ont polarisé leurs regards sur les « activités essentielles de la vie » en écartant la culture, les librairies, les théâtres et cinémas, et aussi ces rituels qui revêtent une portée symbolique forte. Les gens ont pourtant compris qu’à la racine de leur humanité, il y a le respect des morts et cette capacité humaine d’apprivoiser le chaos, par des gestes et des paroles. Le rite, c’est le bel héritage des générations qui nous ont précédées. Cette absence de rites peut créer un traumatisme collectif.
Rendre hommage à ces « Antigones du COVID »
Heureusement, “malgré ces mesures coercitives à l’encontre de nos valeurs”, des soignants, des directeurs d’EHPAD, ont fait preuve d’humanité, en faisant ces pas de côté pour adoucir la cruauté de la situation.
Marie Jo THIEL, médecin et théologienne compare ces personnes à des “Antigone des temps modernes, elles ont été des sentinelles d’’humanité.”. Antigone, figure de l’Antiquité grecque, a fait un acte de désobéissance civile, en rendant hommage à ses deux frères morts, malgré l’interdiction de son père, gouverneur.
Nous avons un devoir d’honorer ces actes positifs courageux, ces pas de côté, qui honorent notre humanité et peuvent encore réparer ces erreurs d’une gestion loin de toute éthique.
Des pistes pour construire une résilience pour cette crise et pour les crises à venir
D’abord apaiser et réparer :
- Dès que la crise sanitaire sera passée dans ses manifestations les plus fortes, il faudra envisager des funérailles différées, pour les familles qui n’ont accompli aucun rite, même si des petits rites ont eu lieu (comme un “au revoir” au tel ou en visio).
- Il faudra aussi envisager un rituel national pour toutes les victimes du COVID 19, et des rituels décentralisés dans tous les territoires, pour honorer tous ces morts du COVID et pour permettre un travail de mémoire, même auprès de celles et ceux qui n’ont perdu aucun proche pendant cette période.
- Benoit DURAND, Directeur de « France Alzheimer » compte mettre en place des groupes de parole, car beaucoup de remontées de son réseau font état de familles complètement sous le choc et en souffrance. Ces groupes de parole seront également nécessaires dans les hôpitaux et EHPAD pour permettre de gérer le stress post traumatique de tous ces soignants.
Puis, construire une stratégie de résilience pour l’avenir :
- De ce bilan de gestion de la crise sanitaire, il est nécessaire de poser une réflexion éthique de l’urgence comme l’envisagent certains députés à l’Assemblée Nationale. En posant un cadre utile, mais aussi en prévoyant que les situations de crise doivent également accepter le cas par cas, pour sortir de l’arbitraire et des règles trop strictes.
- Il faudra s’inspirer d’expériences de démarche participative de crise, comme cela a été expérimenté à Grenoble, avec des « comités citoyens de crise ».
- Il faudra prévoir la présence de psycho-cliniciens dans le conseil scientifique, pour éviter une réflexion restreinte à la seule protection de la vie biologique, et intégrer toutes les dimensions psychologiques liées au confinement et à la restriction des liens humains et des questions éthiques existentielles.
- Enfin, il faudra introduire dans nos procédures et nos formations initiales et continue, une « culture du risque » et une réflexion personnelle sur la mort. Comment sortir du déni face à la mort ? Telle est la question que nous devrons aussi nous poser, alors que tout aujourd’hui contribue à faire de la mort, une question taboue.
Références :
- Boris Cyrulnik : « Après chaque catastrophe, il y a un changement de culture » https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-25-mars-2020
- Dans « L’adieu interdit », Marie de Hennezel revient sur l’épisode le plus douloureux de la pandémie de la Covid: l’interdiction d’accompagner un proche dans la mort. À lire pour « ne plus jamais vivre ça », et apaiser les souffrances des vivants. https://www.notretemps.com/dossier-coronavirus/covid-adieu-interdit-marie-de-hennezel,i231159