La crise sanitaire du Covid-19 doit nous servir d’avertissement, souligne la médecin Alice Desbiolles. Pour les hôpitaux comme pour le climat, « on s’aperçoit aujourd’hui de la nécessité d’un principe d’anticipation ».
Alice Desbiolles est médecin de santé publique, spécialisée en santé environnementale. Elle est l’auteure d’un livre à paraître sur l’éco-anxiété, aux éditions Fayard.
La baisse des pollutions observées dans les territoires où le confinement a été décidé a poussé certains observatoires à établir des parallèles entre cette crise sanitaire et la crise climatique, et à voir dans la première une sorte de « répétition générale » de la seconde. Partagez-vous cette lecture des évènements ?
Il faut, je crois, se garder de toute analogie entre crise du coronavirus et crise climatique. L’épidémie actuelle de Covid-19 a beau être brutale et présenter de lourdes répercussions sanitaires, économiques et sociales, elle n’est finalement qu’une répétition de l’histoire. Bien que l’accélération des mobilités et le rétrécissement des distances qui en découle aient contribué à la propagation rapide du virus, n’oublions pas que le monde a déjà été confronté à des pandémies par le passé. Les épidémies ont jalonné l’histoire de l’humanité. La menace infectieuse a ainsi donné lieu à une mémoire collective et à une documentation étayée de ces épisodes. Ces vécus collectifs nous permettent de comprendre la situation actuelle et de l’anticiper, fût-ce imparfaitement.
Inversement, les impacts du réchauffement climatique et des autres changements environnementaux échappent à toute cartographie antérieure et sont complètement inédits pour nos contemporains. L’inconnue sera donc beaucoup plus grande et moins contrôlable. Les dégâts humains et économiques, bien que plus graduels, se révèleront potentiellement d’une ampleur inédite. Du reste, dans un contexte de changement environnemental global, il n’est pas exclu que différents cygnes noirs surviennent de façon concomitante. Une pandémie liée à un pathogène émergent conjuguée à une vague de chaleur représente un défi dont il faut prendre toute la mesure.
Le confinement semble néanmoins avoir un impact non négligeable sur le climat ?
C’est l’autre limite de cette analogie : elle risque d’entraîner une confusion sur la nature des transformations à entreprendre pour faire face au défi environnemental. Elle peut laisser penser que les mesures à mettre en place pour atténuer le réchauffement climatique et s’y adapter sont nécessairement inconfortables, contraignantes et anxiogènes. Or ce n’est pas du tout le cas. On ne peut tout simplement pas penser la situation climatique et environnementale de la même manière qu’une crise sanitaire d’origine infectieuse. Pour le climat, ce qu’il importe de réaliser, c’est la nécessité d’opérer une transition écologique efficace et anticipée, laquelle appelle une vision, des mesures et des financements qui ne soient pas ponctuels et conjoncturels, mais structurels, continus et de long terme.
Y-a-t-il malgré tout des leçons à tirer de la crise sanitaire pour la lutte contre le réchauffement climatique ?
Cette crise sanitaire doit nous servir d’avertissement. Le risque de pandémie, au même titre que les risques liés au réchauffement climatique, était connu des scientifiques. Bien que le moment exact de survenue de cette crise sanitaire fût imprévisible, son occurrence, à court ou moyen terme, était acquise. Pour autant, la préparation à la pandémie du COVID-19 n’a pas été au rendez-vous. Cette crise devrait nous inciter à ne pas reproduire cette erreur avec le climat, à prendre au sérieux les mises en garde des scientifiques et à nous montrer beaucoup plus lucides et prévoyants à l’avenir. On s’aperçoit aujourd’hui de la nécessité d’un «principe d’anticipation » dont il nous appartiendra de définir les modalités.
Ce qui devrait nous interroger également, c’est notre incroyable fragilité, notre vulnérabilité individuelle et collective. Un agent infectieux comme le COVID-19, qui n’est pas le virus le plus dangereux qui existe sur terre, parvient à déstabiliser en quelques semaines des nations jusqu’alors perçues comme organisées et robustes, bien qu’elles fussent en réalité des colosses aux pieds d’argile. La perspective d’un confinement de quelques semaines suffit à nous mettre économiquement en danger tant nous fonctionnons d’ordinaire en flux tendus et dans le cadre d’une interdépendance internationale très forte. Plusieurs pays, européens notamment, ont précocement subi de graves pénuries de matériel médical de première nécessité. Cette pandémie souligne non seulement notre degré de vulnérabilité et de fragilité, mais également certaines limites de notre modèle de société.
Parmi les fragilités que cette crise a mises en évidence, il y a celle de notre système de santé…
On s’aperçoit en effet que face à un événement soudain, notre système de santé souffre de failles considérables. Qu’il n’est pas suffisamment préparé à encaisser un tel choc. Là encore, c’est un enseignement qu’il va falloir tirer dans la perspective de notre adaptation au changement climatique. Car celui-ci va énormément mettre nos hôpitaux sous pression dans les prochaines années. Quand on évoque le réchauffement climatique, on parle à raison de modification de l’environnement, avec des risques d’inondations, de tempêtes, de sécheresse. Mais c’est aussi sur notre santé que cette hausse des températures et les modifications environnementales qui l’accompagnent auront des conséquences. La multiplication des évènements météorologiques extrêmes, comme les canicules, favorisera la survenue de pathologies graves et entraînera une hausse des hospitalisations et de la mortalité.
C’est d’ailleurs déjà le cas. Chaque été, les canicules font, dans un pays comme le nôtre, des dégâts significatifs sur le plan humain. L’été dernier, 1500 personnes sont décédées des conséquences des deux vagues de chaleur que nous avons traversées. En 2003, 15000 victimes avaient été dénombrées pour une raison similaire. Or ces phénomènes climatiques s’intensifieront, tandis que notre population continuera de vieillir. Le réchauffement climatique, ne l’oublions pas, constituera aussi un défi sanitaire. Et l’hôpital se retrouvera à nouveau en première ligne.
Comment adapter l’hôpital public à ces défis ?
D’abord en nous attelant à l’enjeu des moyens financiers, organisationnels et humains alloués aux structures hospitalières publiques, qui, avec le changement climatique, ne feront plus face à des chocs d’affluence mais à une mise sous tension permanente. Ensuite, une attention particulière doit être portée à la santé publique et à la prévention. On observe avec le coronavirus qu’à âge égal, les personnes présentant une ou plusieurs comorbidités comme l’hypertension ou le diabète ont une probabilité plus
importante de développer une forme grave du COVID-19 ou d’en mourir. Or ces maladies chroniques sont ce que l’on peut appeler des « maladies du mode de vie ». Elles sont fortement corrélées à notre alimentation déséquilibrée, à la sédentarité, à l’inactivité physique, ainsi qu’à la consommation d’alcool et de tabac. Pour faire face aux crises sanitaires de demain, il est donc primordial de permettre à la population d’être moins fragile et en meilleure santé. Cela passe par de la prévention et des mesures
réglementaires. Le budget alloué à la prévention ne représentent aujourd’hui que 2 % de nos dépenses de santé.
Fin du monde et détresse écologique : on a passé une heure avec Glenn Albrecht Il pourrait également s’avérer pertinent de réfléchir à une auto-suffisance en matière de production de médicaments et de dispositifs médicaux de première nécessité, comme les masques, les réactifs pour effectuer des tests
diagnostiques ou encore les respirateurs de réanimation. Cette production locale, sur le territoire national, existe déjà pour certaines ressources nécessaires à notre indépendance, à commencer par les produits alimentaires. Heureusement pour nous, nous ne sommes pas en compétition avec la Chine ou les Etats-Unis pour l’achat de fruits, de légumes et de céréales. Faire de même dans le domaine de la santé me semble une stratégie à investiguer.
Des efforts doivent-ils être aussi portés su la structure même des hôpitaux ?
Oui, il faudrait également réfléchir à faire évoluer nos structures hospitalières, qui ne sont pas suffisamment préparées à faire face à des vagues de chaleur prolongées. Le Spaulding Rehab Center de Boston est un exemple à suivre en la matière. Il est en effet capable de fonctionner en autonomie complète pendant 4 jours grâce à son architecture pensée pour s’adapter au réchauffement climatique et aux aléas météorologiques qui ne manqueront pas de survenir. Pour se préparer aux changements
environnementaux à venir, l’hôpital doit lui-même devenir plus vertueux énergétiquement. Les hôpitaux pourraient par exemple participer de la réduction des îlots de chaleur urbains en plantant des arbres dans leurs cours et leurs allées, en végétalisant leurs murs et en privilégiant des toits blancs, lesquels absorbent moins la chaleur.
Le réchauffement climatique va favoriser la survenue de pathologies graves, dites-vous. Faut-il s’attendre aussi à des impacts psychologiques sur la population ?
Bien sûr. Le risque induit par la probabilité plus élevée de catastrophes naturelles, c’est de voir de plus en plus de personnes souffrir d’un état de stress post-traumatique et de troubles anxieux. On commence aussi à être confronté à des cas de « solastalgie » – c’est-à-dire des personnes qui souffrent de dépression ou ressentent de la tristesse, de la colère ou de l’angoisse en raison des conséquences des changements environnementaux.